Titre

De la salle de réveil à la SSPI, évolution de la prise en charge ?

Prise en Charge de la douleur

Auteur

Natacha LEPRINCE

Centre OSCAR LAMBRET - LILLE

La prise en charge de la douleur nécessite une démarche cohérente et pertinente.

L’ordonnance du 26 avril 96 relative à l’accréditation des établissements publics et privés en définit le cadre.

La conférence de consensus de la SFAR du 12/12/97 , validée par l’ANAES 1999 , a contribué à améliorer la qualité de la prise en charge de la douleur post opératoire .

Le Centre Oscar Lambret fait parti des 22 centres anticancéreux et possède  250  lits . Le bloc opératoire comporte 6 salles d’intervention et une  SSPI de 9 lits . L’activité mensuelle est en moyenne de 350 patients .

Les principaux secteurs d’activités sont variés et concernent la chirurgie  ORL ,  gynécologique , la sénologie , la chirurgie digestive lourde , plastique , thoracique ainsi que celle des sarcomes des membres .

L’infirmier de SSPI est confronté à  plusieurs types de douleurs post opératoires sur des terrains différents tels que les patients douloureux chroniques.

L’évaluation individuelle permet d’apprécier leurs intensités par des critères validés .

Notre équipe à mis en place des procédures thérapeutiques adaptées au suivi du patient douloureux . Cette démarche nous permet une approche qui s’inscrit dans le processus de la qualité des soins , répondant ainsi aux indices de satisfaction des patients .

1 -  QUELLES DOULEURS ? QUELS TERRAINS ?

         La douleur post opératoire provoquée par l’agression chirurgicale est une douleur aiguë .

De nombreux facteurs influencent la survenue , l’intensité , les caractéristiques et la durée de cette douleur :

 

Notre pratique quotidienne nous amène à prendre en charge des douleurs d’intensité différente :

         -douleurs intenses / fortes

          -Douleurs modérées :

 -Douleurs faibles :

 Cette classification nous donne une première approche de l’intensité douloureuse         en fonction du type de chirurgie , mais elle est modulée par le terrain.

En effet de nombreux patients cancéreux sont déjà traités par des morphiniques avant leur chirurgie .Ils présentent un vécu douloureux différent des autres patients dés leur réveil en SSPI.

 2 - COMMENT EVALUER LA DOULEUR EN SSPI ?

Reconnaître la douleur est déjà très important mais l’évaluation de la douleur est une étape essentielle et indispensable pour une prise en charge thérapeutique efficace

La simplicité doit primer dans cette phase où la communication est la plus difficile ( sédation résiduelle , prothèses dentaires ou absence de lunettes)

QUELS SONT LES OUTILS DONT NOUS DISPOSONS ?

Trois échelles apprécient globalement l’intensité de la douleur ou son soulagement à partir d’une auto évaluation réalisée par le patient .

EVS : échelle verbale simple ( 0 : douleur absente , 1 : douleur faible , 2 : douleur modérée , 3 : douleur intense ou très intense

EN : échelle numérique permet de donner une note de 0 à 10 à leur douleur ( 0 douleur absente , 10 douleur maximale imaginable)

          EVA : échelle visuelle analogique . L ‘ EVA se présente sous forme de réglette .

Nous utilisons L’ EN préférentiellement en SSPI ( mesure simple , rapide , évalue l’évolution dans le temps et la réponse au traitement ) .

Dans certains contextes cliniques , le rapport verbal n’est pas possible : jeune  enfant et personne âgée atteinte de troubles cognitifs . L’évaluation peut se fonder sur les manifestations comportementales observables ( échelle Chéops et Ops )

3 – QUELS  TRAITEMENTS ?

Le succès réside tout d’abord dans la prise en charge psychologique du patient . Ecouter , expliquer , échanger , installer confortablement le patient permet de diminuer son vécu douloureux . En SSPI , on commence par l’ablation de tout dispositif invasif non indispensable tel que la sonde gastrique  .

L’ IDE  applique des protocoles validés ( DARA oct. 2001 ) sur prescription médicale écrite et signée .

 3-1 Procédures thérapeutiques

         3-1-1 Prise en charge des douleurs mineures .( EN < 3 )

          Le Prodafalgan en administration systématique et anticipée au bloc opératoire de 2 g de prodafalgan 45 mn avant la sortie du patient de la salle d'opération pour tous les patients quelque soit la chirurgie permet dans la majorité des cas d’avoir un EN < 3 .

         3-1-2 Prise en charge des douleurs modérées . (4 < EN <7 )

Elles se traitent par l’administration simultanée de prodafalgan et +/- AINS type profénid ( 1 mg/kg ) . L’utilisation d’AINS est privilégiée en chirurgie ORL osseuse : BPTM ou PMNI .

Le protocole Contramal : 100 mg en fin d’intervention ou sur 15 mn puis si EVA > 3 en SSPI , nous renouvelons l’administration ( 100 mg ).

L’ administration anticipée de paracétamol 45mn avant la fermeture chirurgicale permet de diminuer les doses de morphine utilisée en titration IV en SSPI .

3-1-3 Prise en charge des douleurs intenses . ( EN > 7 )

L’approche thérapeutique est multimodale dés le début de l’intervention chirurgicale . Elle combine :

         -Antalgique périphérique

         -Antalgique centraux

         -Anesthésie loco régionale .

Elle permet de diminuer les besoins de morphine IV en SSPI .

3-2  Place de la Kétamine , de la titration de morphine IV ? de la PCA , de la PCEA dans les douleurs modérées et intenses     

3-2-1 La Kétamine

         La kétamine semble trouver une place comme analgésique . Nous l’utilisons depuis octobre 2001 à faible dose en per opératoire : en bolus à l’induction de 0.1 mg/kg puis en entretien à la SAP pour des durées de chirurgies supérieures à 1 h à des concentrations de 1 mcg / kg /mn .

La kétamine diminue l’amplification du message douloureux au niveau médullaire (en bloquant les récepteurs NMDA) et finalement l’hyperalgésie associée à la douleur de type neuropathique ou par excès de nociception .Elle contribue à diminuer la consommation de morphinique post opératoire .

3-2-2 Titration de Morphine IV

La titration en salle de réveil  reste la référence de l’analgésie post op. immédiate.

L’évolution de l’anesthésie avec l’apparition de morphinique comme le rémifentanyl  nous oblige à revoir notre prise en charge de la douleur . Une anesthésie générale avec le Sévorane  donne un réveil plus rapide avec une analgésie résiduelle nulle . Il est donc nécessaire de réaliser une titration anticipée au bloc op. : bolus de 0.15 mg /kg/ 30 mn  avant le réveil prévisible .

Par contre lorsque l’on utilise comme morphinique le Sufenta en per op , il existe une analgésie résiduelle . Alors une fois le patient réveillé , nous réalisons une titration de morphine IV en fonction de l’EN . C’est une titration de 2 mg de morphine toutes les 5 mn pour atteindre un objectif EN minimal < 3 .

Lorsque l’objectif est atteint le relais par PCA est immédiat pour éviter la réapparition des douleurs avant la sortie de SSPI .

         3-2-3 La PCA (analgésie auto contrôlée)

Elle permet au patient de s’administrer lui même des bolus de morphine à partir d’une pompe informatisée .

L’infirmière de SSPI programme la PCA avec les consignes thérapeutiques prescrites par l’anesthésiste , à savoir un bolus de 1 à 1.5 mg avec une période réfractaire de 7 à 10 mn ( sans dose limite sur 4 h ) .

Ces réglages sont standards mais adaptables au terrain ( tare respiratoire ) poids , age .L’infirmière ré explique au patient son fonctionnement  , comme cela l’a déjà été fait en consultation d’anesthésie .

         Surveillance : elle est fondée essentiellement sur la qualité de l’analgésie et de la recherche de l’apparition d’effets secondaires .

Le dépistage est essentiellement clinique et repose sur la surveillance de deux paramètres : l’évaluation de l’état de sédation du patient et le mesure de sa fréquence respiratoire . L’évaluation de la sédation se fait selon un score simple :

0 : pas de sédation

1 : patient somnolent , stimulable verbalement

2 : patient somnolent , stimulable tactilement

3 : patient non réveillable , comateux .

La sédation est le premier signe de surdosage et ceci souligne un des intérêts du concept d’ACP : la sédation suffit à prévenir l’injection de bolus complémentaire par le patient .

Fréquence respiratoire : 

La dépression respiratoire se définit par l’association d’une fréquence respiratoire < 10 mouvements/min avec un score de sédation > 2 .

Conduite à tenir : arrêt de l’administration de tout morphinique .

                           administration d’oxygène ,

                           Injection de 0.4 mg de Naloxone IV ( soit 10 mcg /kg chez l’enfant ).

Autres effets indésirables :nausées ,vomissements prévenus par l’administration systématique de droleptan dans toutes les PCA

(0.1 mg/ml de morphine).

                                    rétention d’urines

                                    prurit .

Il faut également vérifier les paramètres de la pompe , noter la dose cumulée de morphine , le nombre de bolus demandés et effectivement reçus .

Toutes ces informations sont notées sur la feuille de surveillance de SSPI (EVA toutes les 10 mn au même titre que les autres paramètres ) .

                  3-2-4 PCEA

L’analgésie péridurale contrôlée par le patient ,lombaire  ou  thoracique est indiquée dans la chirurgie thoracique abdomino pelvienne lourde .

Nous associons un anesthesique local :naropeine(2mg/ml) et un morphinique central Sufentanyl (1mcg/ml) .

Cette association est synergique et additive . Le premier bolus est fait en salle d’intervention 30 mn avant la fin du bloc .

Réglage des paramètres :

         Bolus de 10ml

         Période réfractaire : 20 à 30 mn en fonction du terrain

         Pas de dose maxi/4h

Surveillance :

Elle est identique à celle de la PCEA mais en plus il faut surveiller la pression artérielle , la sensibilité et l’absence de bloc moteur des membres inférieurs , d’un globe vésical si le patient n’est pas sondé .

La sortie de SSPI est autorisée par le médecin anesthésiste que lorsque le score KB (Kremlin Bicêtre ) est égal à 0 .

( a noter que ce score prend en compte la douleur post op , les nausées vomissements et saignements ,critères qui n’existent pas dans le score d’Aldret .

3-3 Cas particulier du patient sous patch transdermique de Fentanyl en cancérologie .

3-1 / Dans la situation où le patient est porteur d’un patch Durogésic et devant subir une intervention chirurgicale de courte durée et programmée  il est conseillé , dans la mesure ou le geste ne va pas modifier le vécu douloureux , de laisser le patch en place .

En SSPI  il doit y avoir une surveillance soutenue de la fréquence respiratoire , de l’échelle de sédation et de l’intensité de la douleur .

         3-2 / Patient porteur d’un patch devant subir une intervention chirurgicale de longue durée et programmée .

         Le cas est discuté :

Ou bien le patch est enlevé en préopératoire et un relais par la morphine est institué

Deux choix sont également possibles :

 1er cas : le relais est effectué par la morphine orale .

 Dans le cas d’un relais par la morphine LP (skénan , moscontin) , la prise sera donnée 12h après le retrait du patch et sera égale à la moitié de la dose équivalente en morphine orale des 24 heures .

Dans le cas d’un relais par de la morphine LI (actiskénan) , la prise sera donnée 15 h après le retrait du patch et sera égale au 1/6 de la dose équivalente en morphine orale des 24 heures .

2eme cas : le relais est effectué par la morphine IV .

 l’administration sera le 1/3 de l’équivalente en morphine orale des 24 h et le relais débutera 15 à 17 h après le retrait du patch .

Pendant la période de relais une surveillance clinique minutieuse sera assurée .

Chez les patients à risque : âgés , de faible poids , insuffisants respiratoires , insuffisants hépatiques , fébriles , il faudra diminuer la dose de relais et se guider sur la clinique .     

Ou bien le patch peut être laissé en place , et dans ce cas , il faudra tenir compte des doses délivrées par le ou les patchs ( 25yh/h, 50yh/h, 75yh/h, 100yh/h ) et adapter individuellement les doses nécessaires de morphinique en per opératoire en fonction de l’intensité douloureuse de l’opération .

Cependant , l’ablation du patch en pré opératoire est incité par :

° Les modifications hémodynamiques et les troubles circulatoires locaux .

° Les modifications du statut douloureux en post-opératoire en rapport avec un geste chirurgical curatif .

° Les possibilités de dépression respiratoire .

CONCLUSION

Prendre en charge la douleur aiguë post opératoire est une obligation .

Le traitement de la douleur doit être le plus précoce possible , c’est à dire débuter dés le bloc opératoire . L’auto évaluation en SSPI par le patient reste la priorité pour une prise en charge thérapeutique optimale .

Le traitement repose sur l’administration concomitante d’antalgique périphérique , centraux associés selon les cas à l’anesthésie loco régionale

La titration de morphine per et post opératoire à une place de choix .

Etant donné la spécificité cancérologique du Centre Oscar Lambret , la prise en charge psychologique du patient est indispensable .

Malgré des moyens efficaces , la prise en charge dépend essentiellement de la volonté de chacun .Elle entre dans un aspect qualitatif qui entraîne la satisfaction des patients .

BIBLIOGRAPHIE 

_ Conférence de consensus : 12 décembre 1997 sur la prise en charge de la douleur post opératoire chez l’adulte et l’enfant .

_Evaluation et traitement de la douleur 2000 : 42e congrès national d’anesthésie et de réanimation (SFAR)

_Evolution de la prise en charge du patient en SSPI : la douleur, Journées des infirmiers anesthésistes d’urgence et de réanimation 2001 SFAR

_Le guide de la douleur : sous la coordination d’Alain Serne, Département de diagnostic et de traitement de la douleur, Hopital de Lariboisiére - Paris

_L’infirmière et la douleur ( Institut UPSA de la douleur )